A fleur de lèvres

Ensevelie sous l’épiderme, elle est comme un pavot de l’enfance qui avec les années aurait fermenté dans le bouillon de culture des souvenirs pour y devenir cyanure, détonation, bille roulant dans l’arborescence du corps. Elle se répand un bon jour après avoir remonté le cours de la gorge et se met à fleurir comme de petits oeillets sur la feuille de sauge des lèvres. Elle tombera ensuite comme une gale, laissant derrière une plaie rose et tendre que l’opium du temps aura tôt fait de colorier avec ses pinceaux de maquillage, lui donnant de plus en plus la couleur de la chair à vif. Cri ou bégaiement, murmure ou note musicale, elle réussit toujours à émerger de la boîte de cendres ou du monde laiteux que garde le destin au creux de ses mains fripées.


Le tournesol

à Laura Solórzano

Le tournesol habite en moi, innocente créature dont le visage de pétales suit à son insu un soleil obscur, tache gangrenée en contre-haut du ciel. Tous les soirs s’élève, parmi les routes stellaires, la lune noire sur le terrain en friche semé de mauvaises herbes où pousse la fleur solitaire, échevelée de safran, avec ses prétentions de lumière. Lampisterie de mon âme n’ayant jamais remarqué ta ficelle qui étrangle, oh miroir magique racontant des mensonges, noirceur marécageuse, oh bourreau, amant qui me jette aux yeux une poignée de terre. Main qui écrit: avec tes propres armes j’aurai à te trancher. Les astres de lumière invertie pourraient bien prendre tes cinq doigts ouverts pour un tournesol fané.


La planète Vénus voilée


Elle a soulevé le couvercle de la douzième maison et sorti le bout du nez, comète arborant sa traînée de feu, floraison nocturne qui fit éclore des boutons secrets du soir au lendemain. Elle a surgi de l’eau stagnante comme un bateau voguant sur le mur: la poupe elle aussi est en feu, les flammes courent sur la coque créant dans l’écume le reflet de ce que l’incendiaire a provoqué. Cette année-là, à partir de quelques bourgeons cachés dans le sous-sol de la demeure-prison, lui ont poussé des mains qui n’avaient jamais touché: elles avaient dans la paume une petite forêt en flammes, et comme alliance, le jonc de ceux ayant connu la captivité.

Les cartes du ciel dessinent leurs arabesques et leurs orbites dans l’enceinte fermée du coeur.




Comme ils sont patients

Les morts gouvernent les vivants
Auguste Comte


Comme ils sont patients, les morts, dans leurs habits de pierre! Quel vent immobile leur parcourt le visage comme la caresse d’un foulard en soie? Dans quelle secrète attente sont-ils tombés comme un animal tombe dans un trou, se fracturant les os, hurlant jusqu’à ce que la nuit le prenne dans ses mains pour y soulager sa douleur? Comment effacer le trait fautif sur la toile? Quelle gorgée de lumière ont-ils donc avalée? Quelle tiare les feront se pencher, solennels dans leur égarement, sur le chemin de leur passé? Quel paysage passera devant leurs yeux comme un oiseau invisible, bien avant l’émeri qui réduira en cendres leur désir d’éternité? Comme ils sont patients, les morts, dans leurs habits de pierre! Eux avec leur vent immobile, et moi ici, à me tromper de lignes.

Comblez-moi la bouche de ce fracas, maintenant, maintenant.