Vermoulure et termites

Le solage, vermoulu et rongé par les termites, suinte le silence et la paix d’un monastère. La maison tout entière s’écroulera à petit feu, sans que les autres habitants, occupés à se mettre des masques, se le tiennent pour dit.

C’est moi la réveillée, celle qui passe ses nuits blanches à écouter les minuscules bestioles ronger l’échafaudage.

Je connais la chronologie de la graine : le travail consistant à creuser des couloirs en plein bois a commencé il y a bien longtemps.


L’incendiaire

L’incendiaire qu’on a fait venir de mes attentes précédentes est si petit que personne n’a remarqué sa présence.

Il me coupe le pas, comme si nous avions une alliance d’inégalité dont je ne me souviens pas. C’est pour cela que j’ai éclaté sur le mur latent de ta proximité, mes lèvres indigo, ces lèvres qui ont détecté une rumeur d’homme dans les parages et ont surgi comme des pousses de rose obscure.

Ah, les lèvres de la rencontre manquée!

De leur écorce carmine, si vénusienne, que provoquent ces forces du ciel et de la terre tourbillonnant autour de toi, pleut le fœtus d’une bouche pas encore créée.



Intuition de mort


Peut-être alors ton visage flottera-t-il dans une matière semblable à l’air, un drapeau ondoyant au gré d’une brise terrestre. Ton visage décollé de tes traits charnels comme un masque périmé. Moi, depuis mon vieux jardin, je resterai sans le tumulte de tes caresses pour me bénir.

J’ai remarqué ce battement de paupière futur. Je sais que mon enterrement ne presse pas. Que les larmes nocturnes, prématurées peut-être, formées dans la cave de mes glandes lacrymales d’aujourd’hui, seront le voile sous lequel je découvrirai mon visage, là, devant tes mains croisées.



Le souque à la corde


Nous marchons si lentement que l’être qui se tient debout derrière la fenêtre ouverte, dans la chambre à mi-lumière où vont les libérés du temps, ne nous voit pas avancer. On dirait la non-urgente marche des jours sur la corde non-raide de la vie que l’utérus et le tombeau étirent entre leurs doigts, jouant au souque à la corde.

Quiconque se trouve dans le noir, au milieu de cette pièce qui dégage sa propre lumière, saura qu’un jour, lui aussi a marché ainsi dans les rues du temps, comme moi j’ai marché dans les tiennes avant que tu n’y poses les masques.



Sortes de pluie


Tu as altéré le régime pluvial de ma mousson intérieure, la colombe transparente qui en tombant fait reverdir ce qui avait jauni. Doux comme un hérisson, le rideau mouillé tombe avec l’aplomb d’une nappe dispendieuse. Ses aiguilles me couvraient comme un voile de dentelle d’eau : c’est cela qu’engendrait ta main, une pluie douce, non pas cette tempête qui jette ses éclairs comme des dards sur l’ermitage de ma chair la plus aimante, là où le paysage t’ensoleille, toi qui fuis de tout pastiche de déluge.

Quelle pluie pourraient bien voir tes yeux faits pour tout multiplier, ces yeux qui cherchent toujours la terre ferme car ils sont dépourvus d’ancre?

Comment dire à la tempête qu’elle redevienne crachin, qu’elle soit ce que toi tu voyais, loin de la furie, loin de moi?


Congélation


En fin de compte, il s’agit de congélation. Je vais congeler tout ça. Tout mouvement s’arrêtera. Vos sourires seront plâtrés à même le temps. La main qui allait frapper s’arrêtera à mi-geste ; on la prendra pour une colombe, le vol au bout des ailes.

À mi-diastole, tous vos cœurs ont distillé, amoureusement dissoutes dans le courrant sanguin, des gouttes de bienveillance.

J’offre en tant que toile ma mémoire abîmée par les pinceaux extraordinaires, ceux qui peignent la même chose que vos bouches.

Si je reste près de vous, la crevasse sur le mur ira en s’élargissant.


Promesse


Ne t’inquiètes surtout pas : cette tempête n’ira pas plus loin que ma peau, encore moins franchira-t-elle mes lèvres, qui continueront à saluer et à sourire comme si de rien n’était.

Tempête qui mélangera les lieux prédéterminés de mes pays internes : le poumon pluvieux, les os arides, le cœur en pleine fleuraison comme un pavot écarlate. Mais personne n’y verra le moindre signe : ma gorge avalera ses éclairs comme s’il s’agissait de poignards de lumière, mes intestins garderont en eux le coup de vent comme un étui de chair ne laissant rien dégainer.

Inquiètes-toi plutôt de l’endroit où sont tombées tes paroles.



Fermeture du cercle


Le cercle est parfaitement dessiné sur mon ardoise. À l’encre rouge, avec un bout ouvert par où peuvent entrer les microbes et les mouches et le duvet. Derrière se tient l’homme, avec son arc de Cupidon et son arbalète, un dans chaque main. Je me trouve au centre géographique de ce cercle. La vie m’ordonne de partir, je marche vers la sortie, je saute hors de l’anneau.

L’homme à l’arbalète et au cœur fléché empalé sur la pointe ne croyait pas que j’allais sortir : il se met à pleurer.

Avec mes deux mains, je prends chaque extrémité du cercle ouvert, et je les raccorde. Avec amour, j’en referme les rebords, qui sont de nouveau suturés.


Meute


De quelle couleur peut-elle bien être, cette fois-ci, la meute d’insectes que tu lâcheras sûrement vers moi, de quel blanc au visage de chiffon sale, dans quel sabbat de sorcières lentement oublié as-tu recueilli leurs autographes et comment leurs ailes délayées heurtent-elles les lampadaires (si minces sont-elle à contre-jour).

Je connais leurs noms, les noms ne sont que des lettres.

Leurs mains sont lisses, leurs doigts bien droits et sans verrues, mais elles brisent tout ce qu’elles touchent.

J’ai vu des crevasses qui finissent par fendre le marbre, les crevasses comme une couture invisible dont ton essaim suivait le tracé.