LA FUITE DE L’ENFANCE

Émile Nelligan

Par les jardins anciens foulant la paix des cistes,

Nous revenons errer, comme deux spectres tristes,

Au seuil immaculé de la Villa d'antan.

Gagnons les bords fanés du Passé. Dans les râles

De sa joie il expire. Et vois comme pourtant

Il se dresse sublime en ses robes spectrales.

Ici sondons nos coeurs pavés de désespoirs.

Sous les arbres cambrant leurs massifs torses noirs

Nous avons les Regrets pour mystérieux hôtes.

Et bien loin, par les soirs révolus et latents,

Suivons là-bas, devers les idéales côtes,

La fuite de l'Enfance au vaisseau des Vingt ans.



LA HUIDA DE LA INFANCIA


Por los viejos jardines hollando la paz de las cestas

volvemos a errar, como dos espectros tristes,

en el umbral inmaculado de la Villa de antaño.

Llegamos a las orillas marchitas del pasado. En los estertores

de su alegría él expira. Y ve cómo, a pesar de ello,

se alza sublime en fantasmales vestiduras.

Aquí pulsamos nuestros corazones cubiertos de desesperanza.

Bajo los árboles se arquean sus grandes torsos negros;

Extrañamos a los misteriosos huéspedes.

Y muy lejos, en noches ya pasadas y secretas,

continuamos hacia las costas perfectas,

a la huida de la Infancia en la nao de los veinte años.


LE LAC


Remémore, mon cœur, devant l'onde qui fuit

De ce lac solennel, sous l'or de la vesprée,

Ce couple malheureux dont la barque éplorée

Y vint sombrer avec leur amour, une nuit.

Comme tout alentours se tourmente et sanglote !

Le vent verse les pleurs des astres aux roseaux,

Le lys s'y mire ainsi que l'azur plein d'oiseaux,

Comme pour y chercher une image qui flotte.

Mais rien n'en a surgi depuis le soir fatal

Où les amants sont morts enlaçant leurs deux vies,

Et les eaux en silence aux grèves d'or suivies

Disent qu'ils dorment bien sous leur calme cristal.

Ainsi la vie humaine est un grand lac qui dort

Plein, sous le masque froid des ondes déployées,

De blonds rêves déçus, d'illusions noyées,

Où l'Espoir vainement mire ses astres d'or.



EL LAGO


Corazón mío, recuerda ante el oleaje huidizo,

bajo el oro de la tarde, de ese solemne lago

a la desdichada pareja en cuya afligida barca

vino, una noche, a zozobrar su amor.

¡Todo, alrededor suyo, es tormento y sollozo!

El viento arroja el llanto de los astros en los juncos,

el lirio se ve ahí en el azul pleno de pájaros

como para buscar una imagen que flota.

Mas nada ha surgido desde esa noche fatal

cuando murieron, enlazando sus vidas los amantes;

en silencio, las continuas aguas de la playa de oro

dicen que duermen bien bajo su calmado cristal.

Así, la vida humana es un gran lago que duerme

pleno, bajo la fría máscara de las olas extendidas

y de rubios sueños que no resultaron, de ahogada ilusión,

en donde la Esperanza vanamente mira el oro de sus astros.



SOUS LES FAUNES


Nous nous serrions, hagards, en silencieux gestes,

Aux flamboyants juins d'or, pleins de relents, lassés,

Et tels, rêvassions-nous, longuement en enlacés,

Par les grands soirs tombés, triomphalement prestes.

Debout au perron gris, clair-obscuré d'agrestes

Arbres évaporant des parfums opiacés,

Et d'où l'on constatait des marbres déplacés,

Gisant en leur orgueil de massives siestes.

Parfois, cloîtrés au fond des vieux kiosques proches,

Nous écoutions clamer des peuples fous de cloches

Dont les voix aux lointains se perdaient toutes tues,

Et nos cœurs s'emplissaient toujours de vague émoi

Quand, devant l’œil pierreux des funèbres statues,

Nous nous serrions, hagards, ma Douleur morne et moi.



BAJO LOS FAUNOS


En el azoro, con silenciosos gestos, nos abrazábamos

—resplandecía el oro de junio—, llenos de resabios, fatigados.

Y así, soñábamos despiertos, en un largo abrazo,

en grandes ocasos, triunfalmente prontos.

De pie en la gris escalinata y su claroscuro de salvajes

árboles que evaporan su perfume de opio

y en donde se constatan los mármoles desplazados,

que yacen en la gran siesta de su orgullo.

A veces, enclaustrados al fondo de los viejos kioscos cercanos,

escuchábamos lamentar las campanas de los pueblos locos,

cuyas voces, silenciosas todas, se perdían en la distancia.

Y nuestros corazones se llenaban siempre de una vaga emoción

cuando, ante la mirada pétrea de las estatuas fúnebres,

nos abrazábamos, azorados, mi triste Dolor y yo.

Trad. León Plascencia Ñol/Françoise Roy