Lorsque j’étais encore non tienne


à ma mère biologique


Lorsque j’étais encore non tienne, dans l’amnios de ton corps le plus profond, toute entourée de méduses -rhizostomes pulmoné son nom de gala, et le pulmoné qui me rappelle comment inspire le « poumon sur l’estrade » du vers de Laura- , toi qui n’as pas de nom, quelle eaux ont bien pu nous séparer comme une Mer Roue faite sur mesure à ton endroit ?

On m’a parlé de décès sans mentionner de cercueils. On m’a parlé de tombes sans mentionner de cimetières. On m’a versé des potions dans le conduit auditif.

Depuis l’iridium de ta mort, à quelle mer sans ourlet es-tu retournée, les portes de l’eau fermées comme se referme le sillage d’un voilier ?

Quel univers intérieur —une eau à l’intérieur de l’eau, des bancs de poissons dans la galaxie du corail— ira produire ces tas d’étoiles dilués dans le sel ?




Quel genre de poignard



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Quel genre de poignard pourrait bien perforer le ventre cristallin de la méduse ? Oh mésoglée , abdomen de cristal ramolli, bouche qui digère tout en laissant voir sa proie comme dans une vitrine.

Dans quelle eau de toi-même pourrait-elle éjecter son encre malodorante, ce laitage visqueux d’un violet prononcé comme le ciel nocturne quand va poindre l’aube ?

Oxyde de mer. Sang d’une autre couleur répandu sur les routes sinueuses du sel dissout.


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Les créatures endormies au milieu du silence se sont réveillées d’un coup, véritable cortège de bouches voraces qui, se sachant grièvement blessées, ont laissé partout une traînée de sève obscure

Je l’ai vue lentement s’estomper au royaume subaquatique, volute de fumée crachée par une cheminée, étoile solitaire, un astre couche-tard avec son tronçon de lumière pressé entre les crochets de la nuit




Je suis le verre ardent


Je suis le verre ardent au fin fond de la mer où a regardé ton regard, aspirateur de rayons solaires en bouquets m’ayant atteint à un parsec de distance de l’astre le plus proche.

J’ai vu la lumière m’inonder à torrent, avec ma primitive anatomie sensorielle, mes ocelles éveillés, la lumière qui à partir de tes yeux a traversé l’eau à une vitesse de dix nœuds.

La fièvre quarte ne semble pas t’avoir dérangé d’un fil : tu m’as tirée par les cheveux hors de la savane de mercure, hors des colonnades du corail.

Tu n’as pas remarqué non plus l’enracinement, ni les longs rhizomes qui remontent à la maison de Dieu.

Méduse où j’ai déversé la mer de ma nage imprudente, tu as complètement arraché tout ce qui flottait.




L’effet corpusculaire de la lumière

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L’effet corpusculaire de la lumière nous parle du temps et de l’espace comme de continents de l’univers se comprimant en un seul.

Distillation de corps ignés dans la matière primordiale, sa nucléosynthèse, et ce brouillard flottant dans la mémoire en tant que radiation cosmique de fond, un souvenir qui traverserait le silence.


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J’ai vu le bruit que font les bancs de méduses.

J’ai entendu leur couleur d’arc-en-ciel sous la cloche battante de telles créatures.

J’ai touché la saveur de leur venin dans la mer antérieure à l’assaut.


Oui, Heisenberg avait bien raison, avec son principe d’incertitude : l’acte même de l’observation affecte ce qui est observé.




L’heure de la brunante qui flotte en moi


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L’heure de la brunante qui flotte en moi comme un ciel, une teinture mère, trop pesante ou épuisée pour sortir par la fenêtre ahurie des yeux, me rend invisible. J’en deviens muette dans ton demi corps assis sans regard en face de moi. Demi parce qu’il ne se redresse pas, plein de ce qu’il suintant auparavant, et qu’il se couche, indifférent, dans la pièce enfumée, comme un grelot vide.



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Je te portais entre peau et rue, à jeun (le nématocyste ne m’a servi à rien, les proies que j’aurais pu paralyser nagent encore). Je te portais sans itinéraire, et le cours fatigué du temps nous as rejoints par derrière.

Méritai-je encore qu’on me consacre un souvenir ?


Quel rang me concèdes-tu ?


Quel rang me concèdes-tu quand s’éveille la fleur noire ?


Celui de méduse émissaire ?


De bouc de mer ?


C’est Neptune en personne qui m’a offert la campanule (certes, Poséidon, celui-là même qui engrossait les monstres marins): il gardait chez lui un double de moi qui sanglotait jour et nuit.




Certes j’ai des larmes

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Certes j’ai des larmes, une pluie à voix basse, et pas de pierres, mon Dieu ! Et des yeux qui ont vu Méduse.

Comme je voudrais des pierres !

Comme je voudrais une arme bien-aimée, à un seul tir, et qui viserait juste !

Comme je voudrais une cisaille, un miroir noirci, un camélia puant !


« Qui sème le vent récolte la tempête. »


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Les animaux sous-marins (dont les yeux produisent des pierres), ceux qui sont dotés de lames de rasoir ou de pistolets, les miroirs pleins de suie ou les fleurs qui sentent mauvais, restent sains et saufs sous le drap de la mer.

Je suis une créature de surface : de là la pluie à voix basse, l’inflammation du cœur, l’oeil de Méduse au fin fond de l’eau.




J’étais coupée en deux

Une personnalité est une réunion d’orateurs et de groupes de pression,

d’enfants, de démagogues, de Machiavels, de Césars et de Christs...

Henry A. Murray


J’étais coupée en deux : entièrement lumière à droite, entièrement noirceur à gauche.

Un oeil ombrageux me surveillait et se posait, rouge, sur la couche allant de toi vers moi, comme un amant. (Il y a des amants qui sont amants et aimés à la fois : ainsi sont les polypes médusiens). Épineux gardien du royaume gaucher du coeur, il pouvait regarder de face des grappes de soleils sans pour autant devenir aveugle (la moitié silencieuse de ma parole, aussi muette que la rosée, une veuve de beauté).

La contrepartie secrètement tirée d’une source diluvienne bien avant les méduses

Tous ces tons de mauve sur le pistil : rose millénaire ayant éclot (par le biais du pollen, non pas des oeufs), ayant éclot comme ça sur le néant




L’enceinte

L’enceinte est parfaitement ronde, délimitée par d’innombrables portes d’eau se dressant côte à côte, toutes fermées à clef. J’y habite depuis des lustres. Mes yeux se sont tellement habitués à voir de façon circulaire, que je ne peux plus distinguer les carrés que jamais je ne franchis.

Mais un jour l’une des portes s’est ouverte, et je t’ai vu par le battant entrebâillé, tout azur, lumineux, plein de baisers qui me semblaient destinés. Je ne me suis pas approchée. Encore moins ai-je osé sortir.

Les toiles d’araignées, depuis, ont muré à nouveau l’ouverture.




Ponctionner l’âme (ou « La leçon d’astrologie »)


Ponctionner l’âme, ce fruit pulsatif, pour en extraire le feutre.


Voilure ondoyant sur le manteau spéculaire, où en double, comme deux objets qui se regardent, Vénus et le Soleil s’abreuvent à la fontaine d’eau vénéneuse, changée par un tir de ta flèche en sang de fleur, transparent.


Vénus du Scorpion nouée au Soleil d’eau.

Vénus d’incendie accrochée au Soleil de feu.


Nous y serons abstèmes, des âmes en l’air traversant la maison rouge.


La cendre des tes traits


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La cendre de tes traits, leur pâleur.


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La chiromancie féroce du Dieu qui équarrit nos os, fait de nos corps un écheveau labile.




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Sur notre couche nous recueillons un peu de houle sans la laisser couler pour autant par les fissures des phalanges serrées. Nous répétons notre laps d’aphonie. Par ricochet l’un vers l’autre (amourette après le repas, amourette de vestibule, amourette d’intersection et de portière, de frontispice et de lymphe pâteuse), nous sommes la javel de cendres faisant blanchir la chaux, la glace qui givrée précipite.





Liqueur en nous


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Liqueur en nous d’un animal venimeux jamais classifié par Linné, qui passe par les ventricules, et que le pressoir des heures exprime comme on exprime une orange verte. Pierre de taille qui sait extraire des grappes du corps leur sang invisible. Liqueur dans les outres que nous sommes, convives et amants sous le clair de vin.



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Baume. Tangage des flancs que le filet en coton retient comme un lit nuptial d’infortune. Et notre sang tirant sur l’indigo, où s’abreuvent les bancs de poissons du corps.

N’est-ce pas aussi la main de la Lune qui n’a de cesse de traire la nuit, réaliser le miracle de l’acide malique, de l’anisole et du ferment ? Voici ma main, sur laquelle a poussé un gant de velours, pendant que des christs mineurs changeaient en vin le jus de ces fruits.


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Comme ils font leur apparition —ombres chinoises à la chaleur de l’alcôve— les autres dieux de la tendre corolle, et comme leurs voiles se tortillent !

Nous servirons de cercueils pour de futures visitations.




Vous, fakirs du temps et de l’espace

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Vous

Vous qui regardez ma petitesse depuis le centre des méduses aériennes que vous êtes, ayez pitié de moi, qui n’ai aucune planète d’air. Vous qui remontez comme des ballons le sentier du vent, je vous vois déjà si loin, moi qui ai avalé l’enclume de plutonium.


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La consciente christique est un diamant de l’intérieur, une taille de sa facette la plus cachée. Moi qui suis toute noire, j’observe, postée sur la première marche, le Dieu aux lèvres blanches qui se penche au-dessus de l’escalier, tout près de vous.

L’ange de la distance lui aussi y montre le bout du nez, avec ses ailes de calicot blanc os et sa tunique de brouillard. Je l’aperçois en train de me souffler un baiser d’attente. Je vois se dessiner dans ses pupilles l’étreinte à venir, la caresse gracile souhaitant la bienvenue au malvenu, aussi éloigné soit-il.




Regarde la vie qu’a menée Pessoa


« Regarde la vie qu’a menée Pessoa, qu’a menée James Joyce », me dis-tu.


Ombres parées de noirs habits qui déambulent sans yeux et sans bouche dans les rues pleines de passants de Lisbonne et Dublin. Pauvres fantômes avec leur éternelle plume d’oie entre les doigts, l’encrier sur la table de nuit comme une bouteille. Voilà des spectres qui ne sont que contours.

Et moi, suis-je Pessoa avec ses quatre noms, ses défunts si parlants que le fossoyeur voudrait les ramener chez eux ? (Ils me ressemblent, dis-tu)

Les passants sont armés de frondes. Tu ne les remarques pas : tu es l’avocat du diable, on ne te paye pas pour les voir me lancer des pierres.

Moi, l’égarée, celle qui arbore ses moi multiples, moi l’Ulysse qui n’a qu’un seul jour pour vivre et connaître les dessous de la vie, celle qui côtoie le poète trompeur avec son éventail de noms de famille, on m’a vidé la mère dans les veines avec ses méduses et tout : c’est pourquoi les pseudonymes se sont multipliés en moi, et les hétéronymes, et les personnages que tu qualifies de narcisses secondaires et qui sont à mes yeux des fleurs de prédilection.




Le bateau explose de nuit


Le bateau explose de nuit

Sous l’éclipse pénombrale, il dessine toujours les mêmes arabesques, comme si la coque glissait sur une piste de patinage, une mer congelée qui dans son enceinte renfermait des méduses.

Toi, l’incendiée, pas à l’heure none mais à la douzième heure, tu ne sors pas de la carte nocturne que j’ai consultée malgré moi il y a deux ans : les lueurs du petit jour te crèverait les yeux, et tu le sais bien. C’est pourquoi tu restes tapie au sous-sol, sous le couvercle où la lumière ne saurait se filtrer, entre les murs de l’auto incendiaire qui se crée lui-même en toi, touche les flammes à la hauteur de la bague, brûle et continue à toucher. Te voilà captive, jusqu’à ce que le ciel, en alliance avec la noirceur alterne




Paysage


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Paysage : un essaim de papillons qui virevoltent dans une contrée déserte, percutée par la lumière.

Dans la chambre, un lattis de fémurs et de côtes ayant résisté à la charge de l’exil : des fils de fer invisibles cousent tout ceci ensemble, à l’heure des amours.


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Réverbération du soleil aveugle, trou où se met à souffler un brin de mer (rien ne s’évapore par les sillons des index, des pouces et des annulaires pressurés).


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Voici venu le séjour du silence, la vaste steppe de la dégustation, le déluge grumeleux dont les acides font blanchir les glaçons de l’hiver. Voici venu l’été.