EXTRAIT DU ROMAN « SI TU TRAVERSAIS LE SEUIL »

« Ne t’en fais pas, mon chéri, dit la tante, à voix basse, en se tournant vers Celso, après avoir pris congé du voisin avec effusion, secouant la main en signe d’adieu. Ce monsieur parle de fous parce que c’est lui qui est fou. Tu vas voir le joli endroit. Tu n’en croiras pas tes yeux. »

Celso souriait. Avant d’entrer, sa tante Ana s’employa à vanter les avantages de la maison, comme une parente qui amène un enfant au pensionnat ou à l’orphelinat et qui chante les louanges des nouveaux amis, du lit moelleux et tout chaud, de l’horaire réconfortant, d’une vie sans souci, des gens pleins d’abnégation et dévoués qui s’occuperaient de lui. Tout ce qu’il aurait à manger ici serait ambroisie, nourriture des dieux. Il n’aurait jamais à répondre un non catégorique à quelque question puisque, avant son silence, il avait affirmé que tout était relatif. Pour lui, il existait une infinité de choses possibles et les humains étaient comme les nombres réels, à peine des bornes fixes au sein de l’infinité des nombres.

Maintenant, elle lui donnait raison sur tout. Elle lui raconta que les petits oiseaux le réveilleraient, le matin. Elle lui décrivit le son que ferait l’eau coulant dans la fontaine artificielle, ornée des flamants roses en plastique, qui se trouvait à proximité du réfectoire. Elle fit l’éloge des jardins parsemés de narcisses et de peupliers, où il pourrait s´allonger sur le gazon et contempler la vaste étendue bleutée du ciel. Celso pourrait écouter de la musique religieuse du lever au coucher du soleil, il pourrait aussi jouer du violon à sa guise. Et, dans les environs, il y avait sûrement des troupeaux de chevaux qui surgiraient, richement harnachés, soulevant la poussière au beau milieu des espaces verts qui s’étendaient à perte de vue, comme s’ils étaient en train de pourchasser l’horizon. Ce qu’il allait voir du haut de sa fenêtre était un paysage digne d’un peintre spécialiste des effets de lumière. La tante Ana ponctuait chacune de ses descriptions d’un sourire béat qui ressemblait à celui de Celso :

« Une fois entré, tu ne voudras plus partir. C’est presque le paradis. Un paradis peuplé de gens plutôt que d’anges », dit-elle à l’oreille de Celso, pour que le gardien ne puisse pas l’entendre.

Sa description était si convaincante que n’importe qui aurait cru se trouver en un lieu de repos pour les poètes. Les autres pensionnaires – parce que c’est ainsi qu’on les appelait – seraient des plus aimables avec lui et lui prêteraient toutes leurs affaires. Lorsqu’il serait moins fatigué, lorsqu’il se serait bien reposé, il reviendrait à la maison comme après un séjour en villégiature pour écrire, peindre, composer une œuvre ou sculpter une pièce grandiose. Elle l’enviait même, lui dit-elle. Elle, elle continuerait à vivre dans le monde normal, à épousseter, repasser, aller faire le marché pour ne pas mourir de faim. Elle accomplirait ce labeur comme sur un autel, en sacrifice à la Vie, pour apaiser sa colère et peut-être repousser un peu la Mort.