Les prémices voyaient le jour : les colibris butinaient jusqu’aux orties, une légion d’astres tissait leurs épées lumineuses sur l’immensité de la nuit, les vents déchaînés étaient tombés, le soleil lançait ses dards de lumière à travers les feuillages, le halo des choses nous incitait à le regarder fixement, et toi, tu dormais encore, étendu dans une autre vie, dans un ici différent du mien.

Je vivais ton absence comme un automne paisible, amassé juste au-dessus des souvenirs impossibles.




La nasse du Créateur contient tout chose.

Il l’a lancée depuis qu’Il a ordonné à la lumière d’être ce qu’elle est, et que les déesses tisseuses d’étoile ex nihilo ont rempli le firmament et que l’aube a perlé la Terre. Le souvenir est venu après coup, lorsqu’Il a déposé les éponges dans les fonds marins et que les tâches de nettoyage sont revenues aux hommes. Les fléaux ont recouvert les champs, les météores ont réclamé leur liberté, sauf ceux qui étaient réservés pour le Déluge.

La nasse du Créateur contient tout chose. Où étions-nous, là-bas —particules, amibes, germes de vie à l’abri de la mémoire qui ignoraient ce coup de dé pervers ? Des bestioles qui ensuite se lèveraient, apprendraient à aimer, auraient l’usage de la parole, se rencontreraient pour ensuite se perdre dans un « quand est-ce » situé hors du temps ?

Le coquillage, comme s’il était fêlé, n’est pas hermétique et laisse passer le jour jusqu’à la langue pulpeuse entourée de nacre. Je suis toute seule au milieu de lui, sous mon propre jour —si obscur malgré mon désir de lumière—, avec mes titres de pauvreté et tout. Le filet des événements le repêche, et par la fente, je vois l’iridium solaire polir la surface de la mer.

On me pose là où on veut (ce que je désirais est resté au fond de la mer, là où nagent les poissons). On me sort de l’eau et on lance le filet de nouveau à la mer. On ouvre la coupe durcie qui me protégeait du regard de Dieu, la suture de cet étui de calcium cède sous la pression, et la chair tendre, qui jamais avant n’avait vu le soleil, est blessée par le flot de lumière. Moi aussi je suis aveuglée. Ainsi ouvertes toutes deux, nous ne tarderons pas à mourir.



Un seul échantillon aurait suffi.

Un « quand est-ce » ―bien que ce ne fusse pas maintenant―, un « où est-ce », un dessin de quelque chose à venir, un sentier solitaire assez grand pour deux.

Un seul échantillon aurait suffi. Mais je n’étais pas qualifiée pour occuper le poste. D’autres sont passées avant moi, portant des couronnes de saphir, elles ont choisi en premier, des Éves tardives aux cheveux d’or, pâles dans la rougeur du crépuscule. Le conte sacré dit que la porte de l’endroit était bien gardée, qu’on m’empêchait d’y entrer. Ce n’est pas vrai. Elles n’ont pas usurpé mon trône, pas plus qu’elles n’ont dévalisé ma besace de souvenirs, car je ne te connaissais pas encore



La pierre invisible


La pierre invisible flotte sous nos yeux

comme une coquille fermée que ta main coupe d’un trait.

Eh bien, il faudrait le dire sans fausse pudeur :

nous sommes dépourvus d’ailes,

nous qui sommes enfermés

dans l’huître du silence

comme des griffons sur le toit d’une cathédrale,

et nous ne pouvons pas la voir.

Le fil qui la maintenait attachée à Dieu

se brise lui aussi.

Comme une ruche décrochée par une tempête

―se fracturant en deux moitiés―

elle dégage toute une récolte de papillons,

eux aussi invisibles.

Le paysage de fond est la mémoire,

le rêve avant l’alcôve :

c’est là que nous nous sommes connus,

une espèce bleue de pavots.